lundi 25 juillet 2011

Extrait - Dazai et le mont Fuji

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Redirection en htm Aujourd'hui, j'ai décidé de vous parler d'un auteur japonais au destin tragique puisqu'après trois tentatives de suicide,Osamu Dazai, parvint enfin à mettre un terme à sa vie. Ecrivain alcoolique, drogué un temps mais surtout très tourmenté, c'est du côté de son anthologie de nouvelles, Cent vues du mont Fuji, qu'il faut voir et non dans son texte le plus célèbre, mais médiocre, La Déchéance d'un homme.

Dans la nouvelle Cent Vues du mont Fuji, justement, Dazai démonte littéralement l'icône qu'est le mont Fuji. Au lieu d'un bête soumission à la carte postale mythifiée par le peintre Hiroshige, Osamu Dazai prend un malin plaisir à dégommer ce symbole national en nous amenant à nous questionner sur une conviction née d'un matraquage publicitaire. Une certaine irrévérence, on en attendait pas moins de cet autour certes inégal mais tellement touchant.



"Les pentes du mont Fuji convergent à un angle de quatre-vingt-cinq degrés sur les peintures de Hiroshige et de quatre-vingt-quatre degrés sur celles de Bunchô; mais il suffit d'étudier une carte d'état-major pour constater que l'angle des pentes est-ouest est de cent vingt-quatre degrés, et celui des pentes nord-sud, de cent dix-sept degrés. Hiroshige et Bunchô ne font d'ailleurs pas exception : sur presque toutes les représentations du Fuji, l'angle formé par ses pentes est très aigu, ce qui donne effilé, très élevé, très frêle. Chez Hokusai, cet angle est d'à peu près trente degrés : on dirait la tour Eiffel ! En réalité, le Fuji forme un angle obtu : il est tout en pentes douces. Avec ses cent-vingt-quatre degrés dans un sens et ses cent-dix-sept degrés dans l'autre, il n'a rien d'une montagne particulièrement élevée, rien de spectaculaire. Il me semble que si j'étais en Inde ou ailleurs et qu'un aigle vînt me prendre dans ses serres pour me lâcher ensuite au-dessus de la côté du Japon à proximitié de Numazu, je ne serais guère impressionné par le spectacle de cette montagne. "Le Fujiyama, splendeur du Japon" : si les étrangers le trouvent wonderful, c'est parce qu'on leur en a mille fois parlé : c'est devenu pour eux une vision de rêve. Mais supposons que l'on aille à la rencontre du Fuji sans avoir été soumis à tout ce matraquage publicitaire - bref, naïvement, innocemment, avec un coeur qui serait comme une page blanche : dans quelle mesure saurait-on l'apprécier ? Rien n'est acquis. C'est une montagne plutôt petite. Oui, petite par rapport à sa base. Etant donné sa largeur à la base, le Fuji devrait être une fois et demie plus haut."

mercredi 15 juin 2011

Extrait - Jean-Claude Michéa et le libéralisme

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Jean-Claude Michéa est un penseur actuel d’une grande vivacité et d’une grande pertinence. Réhabilitation de la pensée politique d’Orwell, fine réhabilitation, l’homme est surtout connu pour sa critique du libéralisme avec un ouvrage comme L’Empire du moindre mal, complété par Retour sur la question libérale, comme pour mieux consolider les éléments négligés.

Philosophe jargonnant un peu, mais pas trop, il n’en demeure pas moins en constante prise avec le réel grâce à la mobilisation de sources concrètes (ses notes forment presque un livre à part entière). Si l’abstraction est nécessaire dans un tel discours, on manipule avant tout des notions, elle n’est jamais laissée seule, comme une étrange nébuleuse. L’extrait ci-dessous, tiré de L’Empire du moindre mal, n’est rien moins que la conclusion de l’ouvrage. Une conclusion forte et juste.



« Le nouvel ordre humain que les élites libérales sont désormais déterminées à imposer à l’échelle de la planète, exige, en effet, que les hommes cessent précisément de « se sentir hommes » et se résignent enfin à devenir de pauvres monades égoïstes, condamnées à produire et consommer toujours plus, chacune luttant impitoyablement contre toutes les autres, dans l’attente de son hypothétique « quart d’heure de célébrité ». Hannah Arendt avait donc parfaitement raison de souliggooglener, dans La Condition de l’homme moderne, que « ce qu’il y a de fâcheux dans les théories modernes ce n’est pas qu’elles sont fausses, c’est qu’elles peuvent devenir vraies ». S’il est ainsi toujours exact que l’homme n’est pas égoïste par nature, il est non moins exact que le dressage juridique et marchand de l’humanité crée, jour après jour, le contexte culturel idéal qui permettra à l’égoïsme de devenir la forme habituelle du comportement humain. Les partisans de l’humanité seraient donc malvenus de sous-estimer cette réalité nouvelle. Ils doivent impérativement prendre conscience, au contraire, que la course est déjà commencée et que, dans cette course, le temps jour maintenant contre eux. »

mercredi 8 juin 2011

Extrait - Traven et les colons espagnols

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Traven est un romancier mystérieux. Brouillant volontairement les pistes, écrivant sous des noms d’emprunt, disparaissant, réapparaissant sans cesse. Son idée était de promouvoir non sa vie mais son œuvre, d’où ce flou savamment entretenu. Allemand d’origine, Traven n’en demeure pas moins un amoureux du Mexique se dévouant corps et âme à critiquer les colons espagnols et défendre ce petit peuple qu’il chérissait tant.

La Révolte des pendus est considéré comme son chef d’œuvre pour beaucoup de lecteurs. Dans ce récit, le lecteur suit la lente révolte de Mexicains encore sous le joug de colons espagnols. Le climat devient de plus en plus délétère, les forces contestataires s’organisent. Pendre pour mieux mater ce peuple exploité ne suffit plus, d’événement en événement, les bûcherons mexicains fomentent un soulèvement radical et suicidaire. Le passage ci-dessous retranscrit, dans la bouche de l’un des exploitants espagnols, tout le mépris, l’avidité du profit, de ces entrepreneurs. Une vision certes caricaturale, sans nuance, mais complètement assumée par Traven. En clair, une charge politique au sens large.



« Nom de Dieu d’enfants de garces ! Tas de salauds puants et dégueulasses que vous êtes. C’est comme cela que vous me volez mon argent que j’ai eu tant de mal à gagner ? C’est comme cela que vous le faites valser à boire et à courir les filles et que pendant trois mois, trois longs mois où vous auriez eu le temps de travailler pour moi, vous n’avez rien foutu, même pas fait partir un seul convoi de caoba ? Pourtant, le bon Dieu et la Sainte Vierge en sont témoins, je vous ai toujours payé vos gages, je ne vous dois rien, tas de boucs putassiers, et je n’ai jamais été en retard à payer son dû à celui qui faisait son travail. Et maintenant, j’arrive au bout de trois mois, et il n’y a rien de rien aux tumbos : pas un brin de caoba qui vaille la peine qu’on en parle ! Moi qui croyais en trouver haut comme des montagnes ou du moins comme la cathédrale de Villahermosa, je ne trouve rien ou guère plus. Mais, bon Dieu de bon Dieu et par tous les saints du bon Dieu, je me demande ce que vous avez bien pu foutre pendant tout ce temps, voyous que vous êtes. Vous avez dû passer vos journées à forniquer, à vous torcher vos sales museaux, à vous soûler la gueule et à poser culotte ! Allez-vous répondre, tonnerre ? Et pas de mensonges, hein ! Sinon, je vous défonce la mâchoire, tas de golfos, de détrousseurs de cadavres pestiférés. Alors qu’avez-vous à répondre ? »

vendredi 20 mai 2011

Extrait - Rousseau et la générosité

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Jean-Jacques Rousseau reste, malgré sa paranoïa aïgue, un grand philosophe. Criticable sur bien des points, mais majeur en ce qui concerne la pensée philosophique. Un peu comme une balise historique. Des ouvrages comme Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes demeure une oeuvre de référence encore aujourd'hui.

L'extrait du jour est lapidiare et provient du pavé L'Emile ou de l'éducation. A travers son traité d'éducation, un traité idéal pour un enfant fictif, Rousseau livre une réflexion en profondeur sur l'éducation à donner aux enfants. Etape par étape, de l'enfant fictif à la fille qui deviendra l'épouse. Le philosophe brasse large et évoque également la religion grâce à sa fameuse Profession de foi du Vicaire Savoyard. Le court passage ci-dessous est à mettre en parallèle avec nos people versant grandement dans l'humanitaire, nos stars la main toujours sur le coeur. Méfiance vous dira Rousseau, méfiance.



« Défiez vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins »

jeudi 5 mai 2011

Extrait - Rutebeuf et la pauvreté

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Redirection en htm C’est vrai qu’au bréviaire on ne cite pas vraiment de poètes. Je tenais donc à réparer cette faute en en mettant un en avant aujourd’hui. Illustre bonhomme, nébuleux car le réel et le mythe se mêlent jusqu’à la confusion lorsqu’on cherche à le saisir, je parle bien sûr de Rutebeuf. Chanté par Léo Ferré, la poésie de Rutebeuf a quelque chose de magique. Non pas mystique ou onirique, elle nous touche par son efficacité, sa langue si marquée et son envie de se frotter un peu à d’autres sujets que la religion, dominante dans le domaine de la création à son époque.


Pour une fois, l’extrait est court. Pas de recueil précis comme source, le mieux est encore de s’offrir les poésies complètes de Rutebeuf et d’apprécier, par petites touches, ces moments de grâce. Dans l’extrait ci-dessous, le poète nous parle de pauvreté mais sans verser dans un pathos indigeste, la preuve le tout fini par parler de cul.


Pauvre sens et pauvre mémoire

M’a Dieu donné, le Roi de Gloire

Et pauvre rente

Et froid au cul quand bise vente

mardi 12 avril 2011

Extrait - Hunter S. Thompson et le karaté

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Redirection en htm Hunter S. Thompson est l’inventeur du journalisme gonzo, autrement dit une investigation poussée teintée d’aventure subjective. En prenant la forme du roman, Hunter S. Thompson décortique, raconte et percute. Personnage atypique, globalement fana des drogues, il n’en demeure pas moins un esprit éclairé post rêve américain. Sorte de fantôme d’une Amérique décadente, couvrant les grands événements ou les mythes avec un regard un rien désabusé.

L’extrait ci-dessous est issu de son ouvrage culte Hell’s Angels. Témoignage/investigation l’ayant conduit à côtoyer de très près le fameux gang de motards pendant plus d’un an. Thompson démonte la presse new-yorkaise, défait lentement le mythe de ces rebelles motorisés. A côté de ces exercices de démolition, ce travail plus formel d’investigation, notre homme se livre à quelques saillies entre l’intuition et la réflexion. Ici, il s’attaque aux adeptes du karaté, sport prolifique à l’époque et passablement irritant.



« Par ailleurs, pour vaincre la trouille, la pratique des arts martiaux ne sera jamais d’aucune utilité…à moins que l’entraîneur ne soit parfaitement sadique, ce qui, de toute façon, limiterait et pervertirait l’enseignement. A San Francisco, le karaté est roi. En 1965, on dénombrait déjà dans la Baie sept mille inscrits s’entraînant régulièrement. Mais dans le premier bar un peu chaud, on vous montrera un barman ayant « étendu un mec qui essayait de la lui faire au karaté ». Sans être forcément toutes véridiques, ces histoires prouvent une chose : quand il s’agit de faire le coup de poing, les réflexes conditionnés évitent toujours de se faire lessiver. Un barman aux phalanges couturées de cicatrices cognera toujours plus vite et plus fort qu’un karatéka en herbe, qui n’a jamais pissé le sang. Et en vertu du même raisonnement, un Angel qui a passé la rampe assez souvent pour en rigoler poussera sa machine avec un style et une aisance que seules procurent les expériences douloureuses. »

mardi 5 avril 2011

Extrait - Bouvier et les voyages

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Lorsque l’on parle de récits de voyages, plusieurs noms nous viennent à l’esprit. Nicolas Bouvier est probablement l’une des plus belles plumes, et aussi une des plus fines, du XXème siècle en la matière. Érudit mais jamais pédant, globe-trotter mais jamais touriste. Notre voyageur national a raconté tant de destinations, avec un ton oscillant entre l’Histoire et la sociologie, la fiction et la poésie.

Chroniques japonaises reste une référence pour toute personne s’intéressant au Japon. Livre qui commence à dater, 1975 tout de même, Bouvier nous raconte le Japon qu’il découvre à différentes périodes. Le pays qui se relève douloureusement de la seconde guerre mondiale et du protectorat américain, et, plus tard, cette nation puissante et dynamique. L’extrait ci-dessous montre un Bouvier comme on aime. Pragmatique, s’échappant un instant de la chronique pure pour dériver, avec finesse, vers l’intuition, l’analyse même. Aussi pertinente qu’elle est simple dans sa formulation.


« C’est un fait que les bons livres de voyages – Voyez Polo, Bernier, Tavernier et Chardin – sont souvent écrits par des gens qui touchent au commerce. Vente, achat, bénéfice sont les premiers mots du vocabulaire international, l’âpreté mercantile évite à l’observateur ces engouements benêts qui vont bientôt fleurir dans la littérature quand les poètes se mettront à voyager. Avec un commerçant, pas d’envolées à craindre. Encore moins avec ces négociants d’Amsterdam, têtus et apoplectiques, que le barbier saigne et que le ministre exhorte une fois la semaine, qui risquent bravement leur gidouille sur les plus mauvaises mers du monde et dont les trognes ont obligé Franz Halz à user tant de vermillon. Aussi longtemps qu’ils peuvent importer la soie chinoise et exporter le cuivre japonais ils acceptent de bon cœur toutes les tracasseries – fouilles, interrogatoires, isolement – auxquelles les Japonais les soumettent. »

samedi 2 avril 2011

Extrait - Freud et les rêves

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Redirection en htm Sigmund Freud n’est pas spécialement ma tasse de thé. Les concepts du psychologue autrichien, car ce ne sont que des hypothèses et non des certitudes comme on cherche à nous le faire croire aujourd’hui (comme quoi en quelques décennies le langage du psychologue a été, de façon vulgaire, bien assimilé par le peuple), peinent à me séduire. Seul intérêt, l’impact d’un tel mouvement, non scientifique mais prétendant l’être, sur les populations du siècle présent et dernier.

L’extrait d’aujourd’hui est étonnant puisqu’il vise à dénigrer l’interprétation des rêves. Cette espèce d’entreprise grotesque où chacun cherche à trouver du sens derrière des symboles oniriques. Sorte de religion du XXIème siècle, la psychologie de manière générale, l’interprétation en étant une simple parcelle. Freud, l’auteur de Sur les rêves annonce, en début d’ouvrage, l’inintérêt de l’opération. De quoi calmer, par la parole du maître, toutes les protubérances actuelles d’essayistes de seconde zone cherchant à nous refourguer leur camelote dans nos supermarchés (public peu regardant sur la qualité niveau culture).



« Ce qui est rêvé ne peut pas plus prétendre à un sens et une signification que, par exemple, la suite de sons que produiraient les dix doigts d’un individu totalement ignorant de la musique lorsqu’ils se promènent sur les touches d’un instrument. Le rêve doit être décrit comme rien d’autre qu’ « un processus corporel dans tous les cas inutile, dans bien des cas morbide » (Binz). ».

jeudi 31 mars 2011

Extrait - Michaux et l'Inde

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Redirection en htm Henri Michaux, belge d’origine, est connu pour sa poésie. Cependant, c’est oublier bien vite ses carnets de voyages comme le succulent Un Barbare en Asie publié en 1933. Un carnet étonnant tant le ton est particulier. Michaux décrit les peuples asiatiques qu’il rencontre. L’Inde, par exemple, est pour lui l’occasion de disserter sur les mœurs de ses habitants. Le ton est acerbe mais jamais directe, il conserve cette distance du dandy, de l’homme qui foule les kilomètres avec le regard malicieux.


Néanmoins, les propos de Michaux n’ont rien d’inutiles ou de superficiels. Bien souvent, avec ses paragraphes lapidaires, son sens de la formule, de la phrase joliment complexe, sa façon à lui de démolir, il touche juste. Lorsqu’il parle du théâtre local, des habitudes culturelles/culinaires de tel ou tel peuple. Bien souvent également, il dit ce que l’on n’ose avouer, nous occidentaux. L’extrait ci-dessous, provenant donc d’Un Barbare en Asie, évoque la langueur des Indiens avec humour et pertinence.



« S’asseyant où ça leur plaît ; fatigués de porter un panier, le déposant à terre et s’y vautrant ; rencontrant un coiffeur dans la rue, ou à un carrefour, « Tiens, si on se faisait raser !... » et se faisant raser, là, sur place, en pleine rue, indifférents au remuement, assis partout sauf où on s’y attend sur les chemins, devant les bancs, et dans leur boutique sur des rayons de marchandise, dans l’herbe, en plein soleil (il se nourrit de soleil) ou à l’ombre (il se nourrit de l’ombre), ou à la séparation de l’ombre et du soleil, tenant une conversation entre les fleurs des parcs, ou juste à côté OU CONTRE un banc (sait-on jamais où un chat peut s’asseoir ?), ainsi en va-t-il de l’Indien. Ah, ces pelouses dévastées de Calcutta ! Pas un Anglais ne regarde ce gazon sans frémir intérieurement. Mais aucune police, aucune artillerie ne les empêcherait de s’asseoir où ça leur convient. ».

mardi 29 mars 2011

Extrait - Philippe Muray et le festif

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Grâce au récent spectacle de Fabrice Luchini au théâtre de l’atelier, à Paris, le « grand public » découvre ou redécouvre la prose du regretté Philippe Muray. Pourfendeur de l’homo festivus, ou du « tout festif », anti-moderne par excellence, l’essayiste français savait, avec un style ciselé bien que maniéré parfois, un peu tricoteur sur les bords dans ses développements, s’attaquer aux vaches sacrées de son temps. La gauche incapable de régler les vrais problèmes économiques, les politiciens de face comme Ségolène Royal, la misère amoureuse de nos contemporaines, etc.

Relire Muray, c’est tirer à boulets rouges sur nos acquis, remettre en marche un cerveau larvé, ramolli par des certitudes construites par le temps et des mécaniques culturo-politiciennes. Bref, à la manière d’un Descartes mettant entre parenthèses son savoir afin d’accoucher du cogito ergo sum, mettre en suspens ces idées que l’on considère comme la normalité. L’extrait ci-dessous est tiré de son ouvrage, une vraie somme, Après l’Histoire. Quelques lignes pour résumer la vision de Muray à propos du festif.



« Le festif est une fiction sans antagoniste. Bientôt, il n’y aura même plus de langage pour le définir parce que le langage tout entier sera passé de son côté ; Il n’est déjà presque plus possible de raisonner autrement qu’en termes festifs. Même les plus sombres événements s’en trouvent modifiés. Il n’y a déjà pratiquement plus de catastrophes, ou d’accidents, que du loisir : des affaires de camping tragique, des fêtes en mer qui tournent mal et des histoires de neige qui tue. Et lorsque soixante-huit personnes se font massacrer à Louxor, tout ce que déclenche cette boucherie ce sont des réflexions sur la chute du tourisme en Egypte. Parce qu’il n’y a plus de personnes ; et que l’on ne peut déjà plus, où que ce soit, massacrer que des touristes. ».

jeudi 24 mars 2011

Extrait - Jules Renard et le talent

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Jules Renard reste un auteur atypique, à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Homme de théâtre, mais également romancier caustique, notre homme avait le sens de la formule. Capable d’étriller à peu près tout le monde en quelques mots. Connu pour Poil de Carotte, c’est pourtant du côté de L’Ecornifleur qu’on trouvera tout le génie du bonhomme. Récit décrivant la lente, et pénible, histoire d’amour entre une vieille bourgeoisie éprise de littérature et un jeune savant, tendance fainéant.

Pourtant, l’extrait proposé aujourd’hui concerne le fameux Journal de Jules Renard. Difficile à lire du fait d’un éclatement total de toute chronologie, de toute structure un peu ordonnée, cette somme n’est que la réunion de fragments, considérations lapidaires portant bien souvent sur la société, les écrivains, les hommes plus généralement. Un temps, Renard se moque d’Alfred Jarry et de son Ubu Roi ; plus tard, il poursuit en comblant un vide (la page blanche) par le vide (la description de la mer, vue de sa fenêtre). Dans l’extrait ci-dessous, le romancier nous parle du talent. Une conception proche d’un Nietzsche, « le talent, c’est le travail ». Exit l’inspiration lyrique héritée de l’adolescence. Pas de muses, rien que de la sueur.

Jules Renard ou la littérature au vitriol


« Le talent est une question de quantité. Le talent, ce n’est pas d’écrire une page : c’est d’en écrire 300. Il n’est pas de roman qu’une intelligence ordinaire ne puisse concevoir, pas une phrase si belle qu’elle soit qu’un débutant ne puisse construire. Reste la plume à soulever, l’action de régler son papier, de patiemment l’emplir. Les forts n’hésitent pas. Ils s’attablent, ils sueront. Ils iront au bout. Ils épuiseront l’encre, ils useront le papier. Cela seul les différencie, les hommes de talent, des lâches qui ne commenceront jamais. En littérature, il n’y a que des bœufs. Les génies sont les plus gros, ceux qui peinent dix-huit heures par jour d’une manière infatigable. La gloire est un effort constant. »

mardi 22 mars 2011

Extrait - Mishima et les livres

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Yukio Mishima reste indéniablement un des grands romanciers japonais de la seconde moitié du XXème siècle. Sa tétralogie, La Mer de la fertilité, était la preuve que l’on pouvait encore, malgré des imperfections, des longueurs, à cette époque, entreprendre de grandes entreprises littéraires. A la manière d’un Balzac avec sa Comédie Humaine ou d’un Zola avec la saga des Rougon-Macquart un siècle avant.


Peu de temps avant sa mort spectaculaire, un seppuku qui suivit un putsch plus symbolique que réellement efficace, en novembre 1970 Yukio Mishima rédigeait un court essai dans lequel le romancier japonais se référait au Hagakure. Ce livre rédigé au XVIIIème siècle par un samouraï développait des principes de vie, référence ultime pour l’auteur du Pavillon d’or. Dans Le Japon moderne et l’éthique samouraï, Mishima s’en prend au Japon pacifique, lui qui revendiquait un héritage brutal, on est loin des cerisiers fleuris. Seulement, l’extrait que je vous propose aujourd’hui ne parle pas du Japon mais des livres et de la jeunesse. Un court paragraphe d’une grande justesse où Mishima distille une fois de plus, avec élégance, sa pensée.


Mishima ou la virilité à la japonaise

« L’amitié et la lecture sont les compagnes spirituelles de la jeunesse. Les amis ont des corps de chair et de sang et changent incessamment. Les enthousiasmes de tel ou tel âge retombent avec le temps et laissent place à d’autres que l’on partage avec un nouvel ami. En un sens, il en va de même des livres. Nul doute que tel livre qui a inspiré notre enfance, repris et relu des années plus tard, n’exercera plus sa séduction aiguë et semblera le cadavre de celui dont nous gardons le souvenir. Mais les amis et les livres présentent cette différence essentielle que les premiers changent et non les seconds. Même abandonné à la poussière sur un coin de rayonnage, le livre persiste opiniâtrement dans son style et dans sa philosophie. L’accepter ou le rejeter, le lire ou pas, ne modifient le livre que dans la relation que nous avons avec lui, et c’est tout . »

vendredi 18 mars 2011

Extrait - Roland Barthes et la miniature

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Redirection en htm Roland Barthes est un linguiste fascinant. Fascinant car ne cherchant jamais à s'enfermer dans des recherches trop calfeutrées, trop "universitaires" si l'on prend le mot dans son sens le plus négatif. Par la linguistique, par le signe de manière générale, Barthes s'efforce de comprendre une culture, une société. Cette spécificité qu'il met constamment en balance avec sa propre "identité". C'est ce qu'il s'efforce de faire dans son livre phare, L'Empire des signes, ouvrage dans lequel Barthes analyse la culture nippone dans ses détails les plus infimes. Du théâtre à l'architecture des rues en passant par les jardins, chaque élément est porteur de sens.

Le passage qui suit s'attarde sur la miniature, certes ce n'est pas le passage le plus représentatif de ces fameuses comparaison entre les cultures mais il a le mérite de bien condenser cette sensibilité et ce langage, fluide et riche, que le regretté Roland Barthes jetait sur des choses a priori insignifiantes. Un penseur qui fait décidément encore de l'ombre à bien des penseurs actuels.



« La miniature ne vient pas de la taille, mais d’une sorte de précision que la chose met à se délimiter, à s’arrêter, à finir. Cette précision n’a rien de raisonnable ou de moral : la chose n’est pas nette d’une façon puritaine (par propreté, franchise, ou objectivité), mais plutôt par un supplément hallucinatoire (analogue à la vision issue du haschisch, au dire de Baudelaire) ou par une coupure qui ôte à l’objet le panache du sens et retire à sa présence, à sa position dans le monde, toute tergiversation. Cependant ce cadre est invisible : la chose japonaise n’est pas cernée, enluminée ; elle n’est pas formée d’un contour fort, d’un dessin, que viendraient « remplir » la couleur, l’ombre, la touche ; autour d’elle, il y a : rien, un espace vide qui la rend mate (et donc à nos yeux : réduite, diminuée, petite). »

dimanche 13 mars 2011

Extrait - Julien Gracq et les écrivains

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Redirection en htm Nouveau billet du bréviaire, décidément on n'arrête plus ces derniers jours. Au programme, un grand classique du pamphlet littéraire. Certes, Julien Gracq, car c'est de lui dont on parlera, n'est pas uniquement l'auteur de La Littérature à l'estomac, le livre dont on va également parler. Néanmoins, ce petit pamphlet reste encore aujourd'hui d'une telle actualité, d'une telle justesse, le propos toujours servi par un style ciselé, on ne peut qu'admirer ce petit ouvrage.

Il est vrai que Gracq tricote un peu, un peu trop, et que ses analyses se perdent dans cette volonté de faire trop beau mais passons et admirons ci-dessous une des saillies de cet écrivain si particulier. Cet écrivain qui ne voulait, comme seule et unique médaille, celle du mérite agricole puisque le bonhomme cultivait un petit lopin de terre. Voilà une anecdote qui en dit long sur la distance voulue entre lui et ce microcosme mondain des écrivains parisiens. On respire et on transpose.

Julien Gracq, l'écrivain qui se prenait pour un paysan

« Car l’écrivain français se donne à lui-même l’impression d’exister bien moins dans la mesure où on le lit que dans la mesure où « on en parle ». Il lui faut sans cesse relancer la presse prompte à s’endormir (et moins la critique encore que les échos, qui sont la récompense suprême) il faut tenir les langues en haleine. Un anxieux, un essoufflé « Je suis là !… j’y suis – j’y suis toujours ! » est parfois ce qui s’exprime de plus pathétique, pour l’œil un prévenu, au travers des pages de tel romancier en renom auxquelles on se prend distraitement à souhaiter tout à coup que la poussière soit légère : ce n’est rien toutefois, ou du moins ce n’est pas forcément qu’il n’ait plus rien à nous dire ; mais c’est son livre annuel : il s’agit à nouveau de donner le branle, d’empêcher qu’il y ait prescription. »